Le Chazellois Jonathan Harand et le Bourgeois Simon Ricaud se sont associés au sein de Fruits Saje, à Emile Diop, Français d’origine sénégalaise qui leur a transmis son business de fruits secs naturels et équitables, qu’il s’attachent désormais à faire grandir.
« Quand une entreprise occidentale travaille avec l’Afrique, le plus souvent la stratégie historique demeure : exploiter une entreprise sur place et tirer profit au maximum des richesses de l’Afrique. Mais aujourd’hui, l’Afrique se rebelle et dit stop à cette vision. L’Afrique a pris conscience qu’elle est riche, riche de ses cultures, de ses fruits, de ses produits » analyse Jonathan Harand, associé de Fruits Saje, importateur de fruits secs positionné sur le 100% naturel en commerce équitable, produits au Burkina Faso et au Togo (lire l’encadré ci-dessous « Une gamme 100% naturelle »).
Issus de la grande distribution au sein de laquelle ils ont bourlingué respectivement 20 et 12 ans, Simon Ricaud et Jonathan Harand se sont rencontrés en 2020 au Leclerc de Lunesse à Angoulême, où le premier fût directeur et le second responsable de plusieurs services successifs. Partageant une même vision du travail, ils sont en outre vite devenus amis en dehors, ainsi que leurs épouses et enfants respectifs.
Rencontre symbiotique sourceur / distributeur
« Le projet a germé en fin d’année dernière lorsqu’Emile Diop, un fournisseur avec qui j’avais signé pour différents Leclerc bretons et avec qui le courant passait bien est venu me proposer de reprendre son affaire. Il n’arrivait plus à suivre seul sur le marché post-Covid, la gestion n’était pas son truc et il avait pensé à moi car je maîtrisais la partie commerce et grande distribution. J’en ai aussitôt parlé à Jonathan » rembobine Simon Ricaud.
Instantanément, le projet « parle » à Jonathan Harand, qui a vécu de ses 0 à ses 10 ans en Afrique, son père étant alors coopérant civil, prof de maths au Gabon puis en Côte-d’Ivoire. « Je garde énormément de bons souvenirs des petits villages, des populations locales, de leur sens de l’accueil, de l’aspect humain de la vie là-bas ». Peut-être alors un peu plus sensible que son chef et futur associé à la quête de sens post-pandémie touchant de nombreux salariés, il dit banco d’emblée.
Plutôt que de lui reprendre sa structure, les deux hommes en créent une nouvelle où ils associent Emile Diop, qui restera l’opérationnel en charge de l’approvisionnement, tandis qu’eux auront pour mission d’assurer l’aval. Une symbiose dont l’équation paraît bien ficelée, et de toutes façons, « nous ne serions jamais partis sans lui, tant Emile est un rayon de soleil ! » souligne Jonathan. « Et puis c’est son histoire » enchérit Simon Ricaud.
La structure Fruits Saje est créée en mars, avec un début de commercialisation en août. Tout à leur prise de risque entrepreneuriale, les deux hommes embrayent vite : largage du salariat et de son confort « en bonne entente avec notre directeur et notre enseigne » (rupture conventionnelle), économies personnelles englouties en investissement (achat de la matière première, logistique, création de marques et de packagings…), et, nerf de la guerre, élaboration du positionnement et de la stratégie de vente.
« Nous élaborons alors un cahier des charges fournisseur qui insiste sur 3 points : insertion de la femme, scolarisation de leurs enfants, et donc juste rémunération » appuie Jonathan Harand. « On prend peut-être moins de volumes que les opérateurs conventionnels, mais on paie plus cher » explicite Simon Ricaud.
Faire goûter suffit à convaincre
Et même si les choses ne vont pas toujours aussi vite qu’il le souhaiterait, « on a la chance de commercialiser rapidement grâce à notre historique dans la grande distribution ». Les deux entrepreneurs mouillent la chemise dans un environnement dont ils maîtrisent les codes : « Nous sommes tous les week-ends en animation en magasin, pour faire découvrir la gamme en la faisant directement goûter aux clients ».
Car si les associés sont sûrs de leur différence, avec des produits non seulement éthiques mais surtout qualitatifs, les consommateurs eux ne le savent pas forcément, sur un segment de marché largement industrialisé. « Nous ne sommes pas sur des produits de première nécessité, par contre on a vraiment une plus-value sur le marché avec du 100% naturel, avec des fruits cueillis mûrs sur l’arbre et séchés naturellement au soleil, sans auccun produit ni traitement. Ils restent moelleux en bouche » insiste Jonathan Harand. « Quand je démarche les directeurs de grande distribution, la réponse la plus classique au début est « J’ai ce qu’il faut, je suis en main », mais dès que je fais goûter, cela devient « En effet, je n’ai pas ce produit » » illustre son associé.
Attaquant le marché par le Poitou-Charentes, Fruits Saje a en quelques mois réusi à se référencer chez Leclerc (forcément), mais aussi chez Super U (Coop Atlantique), Intermarché, tandis que Carrefour, Metro et Promocash sont annoncés dans le pipeline. « Nous visons naturellement la grande distribution, avec l’objectif de nous développer petit à petit ».
La mayonnaise prend pourtant vite: alors que leur associé d’origine sénégalaise réussissait naguère à écouler 2 conteneurs bon an mal an, « là on commande le 2e après un mois de commercialisation ». Soit 5 tonnes écoulées en 2 mois, et 8 tonnes qui arrivent.
La courbe est donc bien partie. « Si les volumes montent, on aimerait développer ce modèle équitable et coopératif et dans d’autres villages et dans d’autres pays. On est déjà en train d’entrer en contact avec des producteurs au Bénin, en leur demandant s’ils sont prêts à partir sur un modèle coopératif et sur notre cahier des charges » explique Jonathan Harand.
A terme, les deux hommes ne s’interdisent pas un référencement national et misent déjà sur une segmentation clientèle, pour laquelle ils ont déjà prévu une marque dédiée et qui s’appuierait sur la qualité intrinsèque de la gamme : « Un tel produit qualitatif peut légitimement viser les segments de la santé-diététique, des sportifs, des restaurateurs ».
Une offre 100% naturelle
Fruits Saje déploie 2 marques : Ter’2Fruits (GMS et grand public) et Ter’Diop (B2B – UVC de 50g à 1kg). Elle propose une gamme de 7 références : noix de cajou, fleurs d’hibiscus, mangues, ananas, bananes, coco en lamelles et coco rapée.
Tout est sourcé au Burkina-Faso, hormis l’ananas qui vient du Togo (pays spécialiste de ce fruit). Les plus grosses ventes portent pour le moment sur les noix de cajou et l’hibiscus (oseille de Guinée), fleur aux vertus hypotensives, diurétiques, antiseptiques et antioxydantes constituant la base du bissap. « C’est très difficile d’en trouver au naturel en France, où on la trouve le plus souvent mélangée à d’autres plantes ».
Le Burkina-Faso a été choisi notamment du fait de son climat, pas océanique mais continental, donc idoine pour le séchage naturel des fruits au soleil : « Ca permet de garder les propriétés du fruit et ça rend la noix de cajou croquante malgré qu’elle reste crue. Si on passait Côte-d’Ivoire ou au Sénégal, on perdrait cet effet là. La noix de cajou séchée naturellement serait plus molle, avec pour le consommateur peut-être au final un sentiment de rance. Il faudrait alors inévitablement la griller pour retrouver le même aspect croquant que nous avons naturellement ».
Le positionnement « 100% naturel » de Fruits Saje, sans transformation, a incité ses gérants à se positionner « au rayon fruits secs / fruits et légumes, pas au rayon apéritif » .
De la même façon, si elle est bio par essence, la gamme Ter’2Fruits n’est pas labellisée AB à ce stade, et n’accède donc pas au rayon bio: « On n’insiste pas sur ce côté là, tout en jouant la transparence « aucun pesticide, aucun conservateur ». On ira sans doute chercher le label AB par la suite, mais pour le moment, notre objectif reste d’attaquer une clientèle large, habituée à acheter en conventionnel et qui découvre un autre produit. Etre labellisé d’entrée nous aurait cantonné sur le marché de la distribution spécialisée », dans un contexte de déprise du bio dans une grande distribution qui actuellement réduit /cornérise le segment.
Quant au commerce équitable, une éventuelle labellisation n’est prévue ni maintenant ni demain. « Tout d’abord parce que, contrairement au label bio, elle est forcément payante pour le producteur lui-même, et qu’on ne veut pas imposer ça à nos fournisseurs » expose Jonathan Harand. Mais aussi parce qu’il ne croit guère aux vertus d’un tel label : « Historiquement, il y a eu plusieurs commerces équitables : le premier créé pour l’Amérique latine, le vrai. Puis celui venu par la suite, principalement en provenance d’Asie, ce qui ne veut pas dire grand chose quand on voit les conditions de travail sur ce continent. En tant qu’anciens de la grande distribution, nous savons qu’aujourd’hui la démarche consiste souvent à vendre du produit à travers un logo. Nous ne voulons pas ça: nous voulons simplement vendre de la qualité ».
En toute transparence, sur un marché dominé par des produits triturés / transformés et remplis de conservateurs: outre la mention systématique du pays d’origine (pas légalement obligatoire sur ce genre de produits!), « nous publions un blog où nous proposons aux consommateurs de découvrir des reportages sur notre activité, nos fournisseurs et leurs pratiques ».
Pratique
https://fruitssaje.com