La flûtiste australienne Georgia Browne et le claveciniste britannique Tom Foster résident depuis 3 ans à Chazelles, d’où ils organisent chacun de leur côté leur carrière internationale et leurs concerts dans le monde entier.
L’une est née à Perth « dans les années 1970 », et l’autre à Milton Keynes en 1987, et ils se sont rencontrés en 2014 à Paris. Pas d’antécédents familiaux d’aucun côté, la vocation musicale est venue de leurs tréfonds, avec en prime la chance de premiers professeurs de qualité [1].
Valise toujours prête
Vu leur nombre de jours hors Charente, leur quotidien est composé d’une location AirBnB longue durée, d’une voiture en LLD, d’une valise « toujours prête » et de TGV, avions et Eurostar. Leur carrière est disponible dans les bacs même si elle n’est pas toujours facile à trouver car pas vendue sous leur nom. Vivant de leur art, ils ne roulent pas non plus sur l’or vu la niche qu’ils cultivent, la musique de chambre ancienne, notamment du XVIIIe siècle.
Ils se sont rencontrés il y a pile 10 ans, en août 2014, lors d’une fête d’anniversaire d’un ami commun, au sein d’une bande de musiciens confirmés ou en devenir, groupe qui les avait plus ou moins fléchés l’un vers l’autre ce soir là… Il se connaissaient alors seulement de nom, chacun ayant écouté les productions de l’autre. Il se marièrent un lustre plus tard en Ecosse (où ils habitaient alors, et où les moeurs cléricales sont plus simples), mais n’ont pas d’enfant pour cause de carrières à mener…
Aux côtés d’une Georgia pleine d’ambition pour deux, plus sociable que lui, Tom, dont le groupe principal est depuis 2017 l’orchestre baroque The English Concert basé à Londres, présente un tempérament un peu plus ours, et cagouillard aussi, avec une qualité -le perfectionnisme- susceptible de déboucher in fine sur une sorte de procrastination. A contrario, quand il s’engage dans un projet, il s’y jette à corps perdu, à l’image de sa collaboration avec l’Ensemble Jupiter basé à Paris et dirigé par le luthiste Thomas Dunford.
Au final, plutôt qu’ours, le Britannique se verrait plutôt chien : « J’aime particulièrement être dehors dans la campagne et explorer de nouveaux endroits la truffe au vent, ou a contrario dormir au coin du feu. « Et il est très loyal en encourageant ! » rigole sa compagne australienne, qui s’imagine elle plus en oiseau, « parce que j’aime voyager et voir tout ce qui se passe depuis au-dessus ! ». On s’attend alors à un oiseau musicien australien, tant le répertoire est vaste sur cette partition, mais la néo-Chazelloise se voit plutôt bien « en petit rouge-gorge tout simple ».
Arrivée en France: connexion vouzannaise
« Après le Covid, que j’avais vécu en Ecosse, j’avais besoin de changer ma vie. Après m’être ressourcée 7 mois en Australie, je me suis alors demandé « Pourquoi devrais-je vivre en Ecosse alors que je travaille en France depuis 20 ans ? ». Je travaillais dans le monde entier, mais mon groupe principal, l’Ensemble Pygmalion, avec qui je collabore depuis 14 ans, est basé à Paris! Je les adore et nous nous accordons vraiment ensemble sur de beaux projets, et j’ai donc eu le courage de franchir le pas ». Georgia se tourne logiquement sur son amie la plus proche habitant en France, résidant depuis plus de 10 ans à… Vouzan ! Cette violoniste de très haut niveau, également australienne, prête alors à son amie un lieu où stocker ses affaires et servir de boîte à lettres, le temps de chercher une maison et de demander une carte de séjour.
« On adore la Charente, qu’on avait visité en venant plusieurs fois à Vouzan: tranquillité, paix, le rythme de vie, l’air frais, la nourriture fabuleuse… » poursuit Tom Foster. Les deux anglo-saxons ont adopté Chazelles, même s’ils restent des globe-trotters.
« C’est difficile pour nous, parce que nous voyageons souvent professionnellement et ne sommes pas souvent là, ce qui impacte notre capacité à créer des liens… Sur le seul second semestre 2023, Tom a joué à Pékin, Shangai, New York, Los Angeles, Vancouver… Notre travail est tellement prenant, et tellement hypersociable en tournée que paradoxalement, quand nous rentrons, notre corps et notre âme aspirent à se retrouver un peu seuls. Mais nous avons rencontré du monde à travers la brasserie La Rainette et en allant marcher un peu » résume Georgia Browne qui marche beaucoup.
« Au final, nous nous sentons intégrés oui, et faisons l’effort de toujours parler français, même si c’est encore dur pour moi » conclut Tom. Pas de quoi l’empêcher de se produire localement en tant que musicien, évidemment: il a ainsi pu jouer à l’abbatiale de Saint-Amant-de-Boixe ou à Poitiers. Et le duo a récemment donné un concert commun à la brasserie chazelloise.
Aujourd’hui, quels sont leurs projets ? « Etant très heureux aujourd’hui, je n’ai pas forcément envie de changer les choses. J’espère juste que la musique de chambre survive, conserve un public et que je continue à faire partie de cet univers. Eventuellement, j’aimerais avoir un peu plus de travail en France » sourit Tom Foster. De quoi inciter Georgia à revenir en piqué, taquine : « Pour ma part, cela ne me dérangerait pas de produire un disque avec le célèbre Tom Foster, parce qu’on joue plutôt bien ensemble! », même si cela n’arrive que très occasionnellement, une fois tous les 2 à 3 ans.
Happés très tôt par la musique
Enfance « formidable et innocente » pour Tom.
Enfant, Tom habitait en banlieue dans un mix ville/campagne qui l’a façonné, avec beaucoup de football. A 8 ans, il devient choriste liturgique à la cathédrale de Manchester, jusqu’à ses 13 ans, « la meilleure école musicale qu’on puisse avoir, même si je ne m’en rendais pas compte à l’époque ». Un choix venu de lui: « J’étais persuadé que ça me plairait, et ça m’a plu ».
Fils de curé (protestant), le parcours a peut-être été inconsciemment initié par l’environnement professionnel du père, puisque le petit Tom rêvait sur l’orgue à chaque messe. Aîné de 5 enfants (initialement enseignante, sa mère basculera mère au foyer), Tom quémende un jour à ses parents de pouvoir apprendre le piano. « Mais mes parents étant désargentés, il n’étaient pas partants pour que j’apprenne à jouer d’un instrument, car ils voyaient ça comme de l’argent gaspillé ». Il insiste et les fait plier, et commence ainsi également le piano à 8 ans, « ce qui n’est pas si jeune ».
L’enfant termine au Conservatoire supérieur pour enfants (un dispositif élitiste britannique, inexistant en France), avec des connexions avec le choeur de Manchester.
Enfance « sympathique et heureuse » pour Georgia
Pendant ce temps, Georgia Browne vit une enfance très ensoleillée en Australie Occidentale, vit dehors, au bord de la mer, ou à la campagne où son père avait grandi: « On visitait la ferme de mon grand-père, une ferme de céréales et de moutons, une ferme aux dimensions à l’australienne, du genre de celles qui se parcourt et s’exploite en avion, on avait une connexion avec les bêtes. Ma mère était née en Angleterre, donc elle était une étrangère, et avait vécu au Canada et avait à ce titre un drôle d’accent, ce qui rendait les gens curieux d’elle. Elle était très cultivée, et voulait que ses enfants soient exposés le plus possible à la sphère culturelle: nous allions au ballet, au théâtre, au concert, aux galeries d’art… », se souvient l’Australienne. Ce qui dénote comme n’étant pas typiquement australien, la plupart des gosses pratiquant plutôt des sports, comme foot et cricket. « Ma soeur a finalement fait du ballet, tandis que je m’orientais moi vers la musique ».
Dès l’école primaire avec les cours de flûte à bec, la petite Georgia démontre une sur-aisance et apprend plus vite que les autres. « Un jour, à 8 ans et demi, j’entends un morceau de flûte traversière à la radio [2] et je dis à ma mère « C’est ce que je veux faire! ». J’ai tellement insisté qu’elle a fini par trouver une amie qui avait une flûte traversière et qui nous l’a prêtée. Elle était trop grande pour moi mais j’ai encore insisté, au point que ma mère a accepté de me payer des cours. Et là j’ai eu une excellente première prof de flûte ».
Vocations
A 15 – 16 ans, Tom commence à atteindre un niveau professionnel sans encore l’être « J’hésite alors entre m’orienter vers la recherche en histoire de la musique ou la pratique de la musique. Je rentre à l’Université d’Oxford pour 3 ans après avoir fait le premier choix. Mais en sortie, je prends conscience que devenir musicologue ne me correspond pas, même si cela m’a passionné. J’ai adoré lire et parler à propos de la musique mais pas du tout apprécié d’écrire sur la musique. Or en musicologie, l’écrit est fondamental. Clairement, je veux alors pratiquer un instrument ».
Comme Tom, Georgia est déjà en études musicales à l’arrivée au collège, « dans un établissement où nous avions la chance de pratiquer très intensément, avec des concerts chaque semaine et des compétitions régulières hors établissement. J’adorais l’ambiance, c’est au collège que j’ai acquis l’aisance de la scène, le frisson du concert, et le partage associé. Donc je pense que je me suis dit à 12 – 13 ans que je voulais devenir musicienne professionnelle. Et c’est à peu près à cet âge également que je savais que je visais la musique de chambre et les scènes européennes ».
Professionalisation
Au Royaume-Uni, devenu jeune adulte, Tom se devait d’être à Londres pour se construire, dans un système entièrement bâti sur le freelancing où seuls les meilleurs survivent (pas d’intermittence financée par les salariés du privé comme en France). Dans cette ville très chère où il est arrivé à 23 ans, le jeune Tom a mis 4 à 5 ans pour faire son trou. Pour lui, l’impression d’être passé professionnel est venue en 2017, grâce à sa titularisation au sein de The English Concert, dont la plupart des concerts se tiennent à Londres mais qui tourne aussi mondialement.
La professionalisation de Georgia s’est faite quant à elle en deux étapes, avec un retour à zéro au milieu, du fait de son choix de se spécialiser en flûtes anciennes : « En terminant mes 4 ans d’études en Australie (de 18 à 21 ans), je jouais déjà à l’Orchestre symphonique localement à Perth et ailleurs, en flûte moderne. Avant de changer de vie, de venir en Europe, d’arriver à La Haye pour me spécialiser en flûte historique pendant 6 ans, et donc redevenir de nouveau étudiante et débutante avant de pouvoir jouer au bout de 7 à 8 ans professionnellement de cet instrument. Donc j’ai vraiment dû attendre mon tour avant de pouvoir me faire une place sur cette niche musicale, et de me sentir professionnelle de nouveau, aux alentours de la trentaine ».
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[1] « Le niveau du premier professeur de musique qu’on rencontre dans notre vie est fondamental, et c’est le plus souvent un pur hasard… Tu ne choisis pas, et pourtant c’est tellement important pour la suite. C’est tellement commun de rencontrer des gens qui ont renoncé à la musique à cause de leur premier prof. Et donc, nous considérons que nous avons eu de la chance car nous sommes tous les deux tombés sur quelqu’un d’exceptionnel ! ».
[2] « Ca me gêne de le dire mais c’était sans doute du James Goldway, un Irlandais qui a vulgarisé jusqu’à l’extrême la flûte traversière! » rigole Georgia Browne quand on lui demande si elle se souvient encore aujourd’hui de quel morceau il s’agissait.
Pour aller plus loin :
Georgia Browne
Ensemble Pygmalion
Tom Foster
The English Concert
Ensemble Jupiter