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Des briques à remonter le temps !

Le Chazellois Johan Picon reconstitue des briques de la tuilerie chazelloise Reix fermée en 1960.

Après des mois de tâtonnements et de ratages, Johan Picon produit désormais des séries aux couleurs variées, qu’il offre aux personnes l’ayant aidé à dérouler le fil de cette histoire, et qu’il compte incorporer dans sa rénovation de maison…

« L’histoire est un peu bizarre, mais elle est belle ! » résume Johan Picon, rencontré chez lui, dans le chantier de sa maison qu’il refait entièrement de ses mains dans un style néo-industriel aux confins du Bauhaus, en y incorporant de nombreux objets de récupération industriels ou urbanistiques (avec un fort tropisme dans le domaine du ferroviaire, l’homme étant cheminot de profession).

Devant lui au moment de l’entretien, une multitude de moules en silicone qu’il a fabriqués: écussons d’anciens logos SNCF (les lettres entrelacées et le cartouche), briquettes de Normandie et bien-sur, désormais, des briquettes de parement portant en creux la mention « L Reix Chez Poirier Chazelles », et leur variante, des tomettes « Tuilerie Reix Chazelles (Chte) ».

La découverte

Comme souvent dans les histoires fabuleuses, tout commence par un hasard : « Je vais manger au restaurant Au Rendez-vous des Compagnons à Vilhonneur, où j’ai mes habitudes, et à un moment, je vois, incrustée dans le bas du bar, une brique marquée Chez Poirier, Chazelles. Ca m’a fait un choc émotionnel, parce que j’affectionne particulièrement ma commune. Je ne connaissais pas l’existence d’une tuilerie ». Dès lors, forcément, le Chazellois veut incorporer de telles briques dans son projet de maison ! Il se met en quête d’autres exemplaires: « Du coup, je demande sur le groupe Facebook des Chazellois, et M. Jean-Baptiste Ruleau à la Gare m’en donne deux ! ».

Tel un Gollum avec son précieux, Johan Picon décide alors de se lancer dans l’aventure des répliques : « Pour des raisons économiques, j’avais déjà fabriqué des moules à briques de parement. Je recommence donc avec les deux exemplaires chazellois que j’ai récupéré. Je fais le premier moule avec du silicone et de la Maïzena, en suivant un tutoriel Youtube ». Patatras: « Au démoulage, toute la brique se casse, s’effrite, et les écritures viennent avec ! Vexé, je recommence aussitôt mais cette fois avec du silicone de moulage, plus cher mais censé garantir un résultat impeccable ». Mais le résultat n’est pas meilleur que le premier : « Au bout de 3 jours, le truc n’était toujours pas sec. Ca avait durci sur les lettres et le reste avait coulé liquide. Je veux le refaire, et ce faisant je détériore les lettres sans le vouloir ! ». Retour à zéro, le bricoleur passionné se retrouve sans réplique et sans plus aucune matrice. Dépité, l’homme laisse passer quelques mois, moule d’autres objets, tout en gardant ses briques Reix dans un coin de tête.

A 48 ans, l’homme est « né à Angoulême et fier d’être Charentais ». Une fierté qui s’est naturellement transférée sur sa commune de résidence, où il s’est installé en 1999: « A Chazelles, la vie est plus belle! » répète-t-il.

Deuxième tentative

A force d’y penser, Johan Picon décide de carrément remonter à la source. Et le voilà parti Chez Poirier, où il se retrouve accueilli par Jean-Luc Jabelot, descendant des tuiliers Reix et désormais propriétaire avec son épouse Colette de l’ancienne tuilerie, qu’ils ont rénové avec soin pour en faire leur maison d’habitation. Le feeling passe aussitôt, cimenté par une passion commune pour le patrimoine : « D’emblée, M. Jabelot me dit : « Je vais vous en donner deux! », alors même qu’il n’en a plus beaucoup à disposition après avoir utilisé son stock dans la rénovation de sa maison », raconte un Johan Picon qui n’en demandait pas tant.

Mais la surprise ne s’arrête pas là ! « Il me dévoile et donne un autre modèle, carré, que je ne connaissais pas, et me sort même l’estampille en laiton originelle, qui servait à marquer les briques ! », s’exclame Picon avec l’oeil brillant. Confiance suprême, M. Jabelot lui propose de lui prêter l’estampille pour l’utiliser dans la production des répliques. Et là, surprise, le cheminot fan de patrimoine industriel en général et de ferré en particulier l’emporte sur l’enfant tout à son jouet : « J’ai préféré décliner vu l’objet. L’estampille était trop belle, trop propre, devenue objet de décoration ».

Il me sort même l’estampille en laiton originelle, qui servait à marquer les briques !

Johan Picon

Par contre, notre cheminot repart donc de Chez Poirier avec de nouvelles matrices pour ses moules ! Et fort de ses échecs précédents, il réussit enfin à obtenir un résultat probant : « C’était hyper net, presque trop, avec malgré tout un petit côté vieilli ». Pas peu fier, il poste le résultat de son travail sur le groupe Facebook.

Les rencontres

Son post sur le groupe des Chazellois suscite aussitôt une avalanche de commentaires, et réveille des souvenirs notamment chez les différentes branches de descendants des aïeux Reix. C’est ainsi que Johan Picon va revenir voir Jean-Luc Jabelot pour lui montrer le résultat de son travail, au point de sympathiser et de continuer à creuser les souvenirs historiques. Mais fera aussi connaissance avec des descendantes d’une autre branche de la famille qui habitent dans le secteur, les soeurs Marie-Claude Petit et Marie-Christine Hes. « Elles me racontent leurs souvenirs d’enfance dans la briquetterie où elles avaient joué dans le vieux four, et plein d’autres anecdotes liés à ce passé familial. Au point de me faire revenir en réminiscence qu’en fait j’étais venu dans la tuilerie étant enfant ! Après sa fermeture, elle avait été convertie en dépôt de vente de matériaux, où j’étais venu acheter du sable avec mon père ! ».

Désormais, le Chazellois donne ses répliques de briques à tous ceux qui l’ont aidé à remonter le fil de cette histoire. Il en a déjà posé une dans sa rénovation de maison et en prévoit d’en incorporer de nombreuses autres. Persuadé de la force de la nostalgie, il envisage même la piste d’en faire des objets-souvenir, susceptibles d’être vendus aux Chazellois ou aux touristes de passage. « On pourrait imaginer de vendre les briques 4 ou 5 euros la pièce, avec par exemple 1 euro au profit des écoles » suggère-t-il, « même si je ne veux pas forcément voir en elles des objets commerciaux, mais avant tout des objets mémoriels, chargés d’histoire locale ».

Plus d’un siècle d’histoire

Carte postale non datée issue de la collection personnelle des époux Jabelot.

Habitant actuellement l’ex-tuilerie avec son épouse Colette, Jean-Luc Jabelot est un descendant indirect de Léonard Reix et de son fils Armand Reix, le premier étant le père de son grand-oncle. Né en 1953, il se souvient encore d’un site encore en activité (avant 1960 donc), puisqu’il y passait toutes ses vacances scolaires d’enfant.

Il hérite en 1999 du site, qu’il met d’abord en location (car installé en Corrèze où il dirige une imprimerie), avant de se lancer il y a 10 ans dans sa rénovation et de s’y installer. Pris par ce chantier au long cours toujours pas terminé, il dispose certes d’archives sur le site, mais qu’il n’a pas encore eu le temps d’exploiter et de décrypter.

Il ne sait ainsi pas exactement en quelle année la tuilerie a été fondée : « Elle l’a été par un M. de Blanchard, à une époque où les petites unités de ce type existaient un peu partout, avant de s’effacer avec l’industrialisation, quand les plus grandes se sont consolidées et ont grossi ». En résumé, à ce stade, la date de création de la fabrique reste inconnue, mais Jean-Luc Jabelot précise néanmoins que l’arrêt du four date de 1960. « A partir de là, Armand Reix loue le site à M. Paul Dambier qui en fait un dépôt de matériaux, dont de nombreuses personnes me parlent encore ajuourd’hui ! Cette activité de négoce sera ensuite transmise à un certain M. Chappe, avant de s’éteindre elle aussi à la fin des années 1980. Le site reste ensuite inexploité jusqu’en 1999.

La tuilerie est aujourd’hui rénovée en habitation.

Par Niels Goumy

Journaliste et éditeur de presse, Chazellois depuis 2005.

Une réponse sur « Des briques à remonter le temps ! »

Bonjour, je viens de voir votre article sur la tuilerie ! cela m’a fait plaisir de voir que les souvenirs n’ont pas disparu. Je suis un petit fils Léonard REIX et mon oncle Armand tenait la tuilerie à l’époque avec sa femme Marcelle et un employé réformé de la guerre de 14-18 que l’on surnommait « Chico ». Marie Claude et Marie Christine sont mes cousines.
Merci à vous pour cet article.
JP DUMAS

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